Traitement orthognathique et aligneurs, quel protocole ?

Abstract

Les technologies numériques dentaires de conception, simulation et fabrication sont en constante évolution. Il est possible de simuler numériquement des mouvements dentaires ainsi que des déplacements des deux arcades, et de réaliser des gouttières thermoformées fabriquées à partir de cette simulation.

Le couplage de la numérisation 3D intra-buccale avec la radiographie 3D de basse dose d’irradiation, permet de réaliser un setup chirurgical très précis, de préparer les gouttières de repositionnement et de fabriquer les plaques d’ostéosynthèse.

Nous verrons à partir de cas cliniques quels sont les progrès réalisés en chirurgie orthognathique grâce au 3D et au système des gouttières thermoformées INVISALIGN®.

Introduction

La demande de nos patients pour des solutions d’orthodontie invisible et de traitement rapide ne cesse de croitre. Les orthodontistes proposent ainsi de plus en plus de traitements par aligneurs, mais peuvent encore hésiter sur l’utilisation de ce nouvel outil thérapeutique pour un traitement orthodontico-chirurgical.

La première publication d’un cas chirurgical traité par Invisalign a été réalisée par Boyd en 2005 (1). Proffit a corroboré ce « case-report » en précisant dans son ouvrage qu’il est tout à fait possible de réaliser un traitement orthodontico-chirurgical avec des aligneurs (2). Tous les deux précisent la nécessité de coller des brackets et crochets pour réaliser le blocage inter-maxillaires per et post-chirurgical. Depuis ces publications, les techniques chirurgicales et orthodontiques ont évolué. Le blocage post-opératoire n’est plus systématique, et l’amélioration du système Invisalign a permis de faciliter le diagnostic, la prévisualisation et le traitement.

Les dernières publications sur le sujet sont essentiellement axées sur l’aspect chirurgical de ces traitements, dont les subtilités diffèrent des chirurgies réalisées avec multi-attaches (3)(4). En effet, les grandes étapes du traitement orthodontique restent, quant à elles, inchangées. Néanmoins, de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques sont désormais facilitées par cette pratique pour l’orthodontiste. Grâce aux derniers outils technologiques, le praticien est désormais à même de simuler le positionnement des bases osseuses en fonction de son diagnostic et des demandes du patient, en fusionnant le cone beam avec le fichier STL de l’empreinte optique (figure X). Au travers de cet article, nous vous détaillerons le protocole de prise en charge orthodontico-chirurgicale par aligneurs utilisé par le Dr SABOUNI depuis l’année 2013 et qui a fait l’objet d’un prix de recherche de la société Align Technology  en 2015 (9). Nous vous présenterons les cas cliniques correspondants réalisés selon ce protocole.

 

I. MATERIEL ET METHODES

a. Temps pré-opératoire.

i. Simulation 3D « Clincheck ® »

La nécessité de décompensation pré-chirurgicale est parfois une étape indispensable au bon déroulement de la chirurgie orthognathique. Le praticien devra alors prévoir la simulation virtuelle (ClinCheck®) en réalisant principalement les mouvements orthodontiques nécessaires pour supprimer le verrou occlusal avec les auxiliaires qu’il juge adaptés (ex : traction inter-maxillaire, minivis, powerarms …).

En vue du temps chirurgical, il veillera de plus à demander au technicien qui réalise la simulation d’ajouter cinq aligneurs passifs en fin de série. Il y ajoutera des découpes boutons vestibulaires bimaxillaires sur les secteurs latéraux afin de coller les boutons nécessaires au blocage inter-maxillaires per et postopératoire.

N.B Lorsqu’aucun verrou ne vient perturber l’obtention de l’occlusion post-opératoire simulée, le praticien peut choisir, en accord avec le chirurgien, de proposer une chirurgie première. (5)

ii. Contrôle pré-chirugicale

En fin d’aligneurs actifs, l’orthodontiste devra :

  1. réaliser une empreinte optique afin d’évaluer la qualité de la préparation orthodontique.
  2. simuler l’occlusion finale souhaitée, et imprimer le mordu occlusal correspondant, nécessaire au chirurgien
  3. demander la réalisation du ClinCheck® post-opératoire à partir de cette occlusion simulée. Pour cela, il adjoindra à sa prescription les captures d’écrans de cette occlusion en précisant au technicien qu’il doit se fier à ces documents pour définir l’occlusion initiale du ClinCheck® à développer. Ce procédé permet de développer en amont le ClinCheck® afin de le valider immédiatement après contrôle des résultats chirurgicaux. Il sera alors possible de commencer la phase post-chirurgicale rapidement pour profiter au mieux de l’orage biologique (orage de cytokines) induit par l’opération afin d’accélérer les déplacements dentaires
  4. enfin, contrôler la bonne adaptation des aligneurs passifs en bouche, et coller les boutons nécessaires au blocage per et post-opératoire dans les découpes boutons correspondants.

Remarque : Si la nécessité de réaliser une disjonction per-opératoire a été retenue par le praticien, le praticien devra ajouter deux étapes à ce protocole.

L’empreinte optique permettra de commander le disjoncteur individualisé. Une fois posé, il réalisera une nouvelle empreinte optique avec l’appareil en place. Puis il simulera la disjonction chirurgicale, imprimera le modèle en résine, réalisera une empreinte optique de ce modèle et simulera l’occlusion finale afin de développer le ClinCheck® à partir de cette dernière.

Il est aussi possible d’utiliser un disjoncteur à appui osseux, qui sera posé par le chirurgien pendant le temps opératoire.

b. Temps post-opératoire

L’orthodontiste contrôle la concordance de l’occlusion post-opératoire clinique avec la simulation qu’il avait réalisée. Si cette dernière correspond bien à l’état initial du ClinCheck® post-chirurgical qu’il a développé, il valide le Clincheck®.

Si elle ne correspond pas, un nouveau scan de l’occlusion sera réalisé et relié au Clincheck® précédemment établit.

Le patient change d’aligneurs passifs tous les 7 jours En attendant la nouvelle série d’aligneurs qu’il changera tous les 3 jours pendant 4 mois

II. Cas clinique

a. Cas 1 : chirurgie d’avancée maxillaire

Nicolas, 25 ans présente une classe III squelettique, hyperdivergent.

L’analyse céphalométrique de Delaire met en évidence une rétromaxillie, une dolichomandibulie ainsi qu’une biproalvéolie.

Le plan de traitement choisit était un protocole ortho-chirugical pour une préparation orthodontique à une chirurgie d’avancée maxillaire

Durée de traitement : 18 mois

b. Cas 2 : Chirurgie première

Quentin, 19 ans, a déjà eu un traitement d’orthodontie avec extraction des 4 premières prémolaires.

Il présente un profil convexe, une diminution de l’espace cervico-mentonnière et un sourire labial

L’analyse céphalométrique de Delaire met en évidence une classe II squelettique, une biretrognathie, et une hypodivergence faciale.

Son motif principal de consultation était d’améliorer son profil.

Le plan de traitement choisi était un protocole ortho-chirurgical avec une chirurgie première pour une avancée et abaissement bi-maxillaire et un traitement orthodontique post-chirurgicale pour établir l’occlusion

Durée de traitement : 9 mois

c. Cas 3 : disjoncteur chirurgical associé à une chirurgie d’impaction maxillaire

Florent, 28 ans, adressé par son orthophoniste pour améliorer son excès vertical antérieur.

Il présente une ventilaton mixte avec une interposition linguale latérale et antérieure.

Il a déjà eu un traitement d’orthodontie avec extraction des 4 premières prémolaires.

L’analyse céphalométrique de Delaire met en évidence une classe II squelettique par rétromandibulie ainsi qu’une hyperdivergence.

Le plan du traitement choisi était une chirurgie première d’expansion et une impaction maxillaire simultanément à une auto-rotation mandibulaire qui permettra la correction de la classe II. Une réévaluation pour une génio-plastie foncionnelle selon l’évolution de sa compétence labiale sera réalisée.
Durée de traitement : 12 mois

III. Infographie

Traitement orthognathique et aligneurs, quel protocole ? Traitement orthognathique et aligneurs, quel protocole ?

IV. Discussion

La préparation orthodontique partielle (suppression du verrou occlusal) ou la chirurgie première ont permis de diminuer considérablement la durée de la préparation orthodontique par aligneurs (0 à 6 mois).

L’analyse céphalométrique de Delaire et la simulation 3D de la chirurgie orthognathique (6) ont permis d’augmenter la précision de la chirurgie en fournissant au chirurgien  une gouttière de repositionnement imprimée en 3D selon l’examen clinique et les indications de l’analyse de Delaire.

Démarrer la phase orthodontique post-chirurgicale rapidement permet de profiter de l’orage biologie (orage cytoquinique) pour diminuer la durée du traitement (changement d’aligneurs tous les 3 jours) (7)

En observant les 3 cas cliniques présentés, on peut constater que la durée moyenne de traitement était de 12 mois, bien inférieure à la durée moyenne des protocoles orthodonticochirurgicaux (24 mois) (10) .

 

Conclusion

Les outils numériques ouvrent de nouvelles perspectives. Outre l’aide précieuse qu’ils apportent au diagnostic et à l’élaboration du plan de traitement, ils permettent de :

1. guider et accompagner l’orthodontiste et le chirurgien tout au long du traitement

2. améliorer la communication entre le patient, l’orthodontiste et le chirurgien maxillofacial

3. diminuer considérablement la durée du traitement (7) et augmenter la satisfaction du patient (8)

 

Bibliographie

  • Boyd RL. Surgical-Orthodontic Treatment of Two Skeletal Class III Patients with Invisalign and Fixed Appliances. Journal of Clinical Orthodontics. 2005;XXXIX(4):245-
  • Proffit WR, Fields HW, Sarver DM, Ackerman JL, éditeurs. Contemporary orthodontics. 5. ed. St. Louis, Mo: Elsevier/Mosby; 2013.
  • Taub DI, Palermo V. Orthognathic surgery for the Invisalign patient. Seminars in Orthodontics. 2017 ;23(1):99-
  • Kankam HKN, Gupta H, Sawh-Martinez R, Steinbacher DM. Segmental Multiple-Jaw Surgery without Orthodontia: Clear Aligneurs Alone. Plastic and Reconstructive Surgery. 2018;1 42(1):181-
  • Dong-soo, Choi, Ummberto Garagiola, Seong-Gon Kim current status of the surgery-first approach : concepts and orthodontic protocols
  • JUN Uechi, Miki okayama , takanori Shibata A novel method for the 3-dimensional simulation of orthognathic surgery Am J Orthod Dentofacial Orthop 2006;130:786-98
  • Eric J W Liou, Po-Hsung Chen Surgery-first accelerated orthognathic surgery postoperative rapid orthodontic Tooth Movement PMID 21353934 DOI 10.1016/j/joms.2010.10.035
  • Graziane Olimpio Pereira, Wilana Moura Retreatment of a patient : orthognathic surgery-first approach with customized lingual applicances combined with miniplate anchorage (Am J Ortho Dentofacial Orthop 2019;156:675-84
  • Align Technology Awards as part or its university research award program 2015 for orthodontic therapy and intraoral scanners 2015.05.14
  • Jaakko Paunonen, Mika Helminen & Timo Peltomäki(2017) Duration of orthognathic-surgical treatment, Acta Odontologica Scandinavica, 75:5, 372-375, DOI: 1080/00016357.2017.1317830
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